Août 2019 Quel avenir pour les néo-banques ?
Acteurs clés de l’innovation numérique et alternatives à l’offre bancaire traditionnelle, les banques en ligne et néo-banques ont su, en à peine vingt ans, ‘’challenger’’ les banques traditionnelles. Quelle position occupent-elles aujourd’hui ? Quelles sont leurs perspectives de développement ? Leur modèle est-il pérenne ? Notre analyse.
Quatre générations déjà. Des premières banques en lignes aux néo-banques actuelles, plusieurs générations de banques digitales se sont succédé depuis la fin des années 90. Hervé Alexandre, Directeur adjoint de House of Finance et professeur à l’Université Paris Dauphine, distingue quatre étapes dans leur développement :
- L’avènement des banques en ligne à la fin des 90 : ING, Fortuneo, Boursorama Banque
- Les réactions des banques à réseaux : BforBank du Crédit Agricole, HelloBank de BNP Paribas…
- Des offres simplifiées, indépendantes des banques à réseaux, s’appuyant sur des réseaux physiques non bancaires avec Nickel, un service bancaire alternatif bénéficiant d’un réseau de buralistes, Orange Bank par l’opérateur mobile, C-Zam de Carrefour
- Enfin, les néobanques, par exemple N26, Revolut, DittoBank. Ces établissements mobiles et dématérialisés dont le nombre – et le nombre de clients – a triplé en trois ans. Elles comptent désormais 2,6 millions de clients.
L’acquisition de clientèles par acteur :
Aux origines de la « success story ». Plusieurs facteurs ont été moteurs dans l’essor de ces nouveaux acteurs. Dans son étude sur les modèles d’affaires des banques en ligne, l’ACPR (L’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution de la Banque de France) souligne le rôle majeur joué par l’émergence des nouvelles technologies, internet et mobile, mais aussi le rôle des évolutions législatives favorisant la mobilité bancaire et l’environnement de taux bas.
Cet essor doit aussi beaucoup aux lacunes des réseaux bancaires traditionnels : une offre plus complexe, une tarification souvent peu lisible et mal perçue, une expérience client peu fluide, une orientation client parfois insuffisante…
Ces faiblesses du modèle bancaire traditionnel ont bénéficié à ces nouveaux entrants qui ont su prendre le contre-pied avec :
- Des offres simples, parfois mono-produit (dont l’agrément est plus simple à obtenir), qui se diversifient progressivement à la recherche d’un enrichissement de l’offre et de la rentabilité.
- Une expérience client fluide notamment par la simplification des procédures d’ouverture de compte et de fonctionnement au quotidien (compte courant, carte de paiements internationale), parfois au risque de faire l’impasse sur certaines obligations de conformité de type KYC
- Une offre tarifaire lisible, parfois présentée à la manière des offres packagées de services internet à trois niveaux (standard/medium/premium)
- Une politique tarifaire agressive avec la mise en avant de produits d’appels (carte gratuite), visant d’abord à l’acquisition de nouveaux clients
- Des offres commerciales attractives comme les primes de bienvenue ou de parrainage.
Les banques en ligne puis les néo-banques ont ainsi progressivement réussi, à partir des années 2000, à s’établir dans le paysage bancaire en concurrence avec les réseaux traditionnels. Aujourd’hui , environ 6,5% des ménages bancarisés en seraient clients, et surtout un tiers des conquêtes client serait réalisé par ces nouveaux acteurs.
Les fragilités du modèle. Le business plan de ces nouveaux acteurs peine à tenir dans la durée. Leur produit net bancaire (PNB) reste faible avec un revenu annuel moyen par client en 2018 d’environ 140€ avec toutefois de fortes disparités entre les établissements. Bien que leur clientèle soit en moyenne plus aisée et plus urbaine, celle-ci est encore jeune et compte davantage de clients inactifs (environ 14%) et moins de clients en relation principale (seulement 23%). Leur gamme de produits reste plus limitée et leur positionnement tarifaire (constitutif de leur image de marque) limite aussi leurs marges de manœuvre. La faiblesse de leur PNB se double enfin de frais généraux importants engendrés par le service clientèle, le marketing et l’informatique. À cet égard, les offres commerciales comme les primes de bienvenue constituent un poste de dépense toujours important (jusqu’à 24% du PNB).
Aujourd’hui les néo-banques sont encore en phase de croissance si bien qu’environ la moitié d’entre elles espèrent être rentables à l’horizon 2020/2022. Tout l’enjeu réside donc dans leur capacité à maintenir leur dynamique de développement et d’en amortir les coûts afférents. Alors qu’elles ambitionnent un total de près de 15 millions de clients à fin 2020, aucun élément ne laisse présager une croissance du marché français : la population française est déjà presque entièrement bancarisée (99% des ménages), la croissance démographique reste faible, et l’hypothèse d’une augmentation structurelle de la multi-bancarisation et de la mobilité bancaire n’est pas démontrée. Sous la pression de la rentabilisation et après avoir atteint un seuil satisfaisant de conquête de clientèle, les néo-banques pourraient ressembler de plus en plus aux réseaux traditionnels, offrir une gamme de produits comparable, faire évoluer leur tarification vers un niveau de rentabilité plus satisfaisant et reconstruire une chaine de la valeur déconstruite depuis plusieurs années.
L’exposition aux risques constitue une autre fragilité majeure de ces acteurs. En effet, si beaucoup d’entre eux bénéficient de leur intégration à des grands groupes, ils restent toutefois exposés à des risques opérationnels importants notamment de fraude externe, de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme. Les processus de lutte contre le blanchiment d’établissements comme N26 ou Revolut, ont récemment montré des failles significatives en la matière.
Le rebond des banques historiques. Les banques traditionnelles sont bénéficiaires de l’effet d’entraînement créé par les banques nouvelles, qui jouent un rôle moteur dans la digitalisation et l’évolution du secteur bancaire. Lorsqu’elles appartiennent à des groupes bancaires déjà établis, ces ‘’jeunes pousses’’ jouent en leur sein le rôle de laboratoire d’innovation et d’expérimentation.
Les banques historiques ont su réagir en engageant aujourd’hui la transformation digitale nécessaire de leurs processus, de leurs systèmes informatiques et de leurs ressources humaines. Elles mettent progressivement en place une offre digitalisée pour compléter leur offre de services et fluidifier la relation client. La satisfaction client est peu à peu remise au centre et la confiance semble revenir. > Lire l’article : La cote des banques repart à la hausse
Pour capitaliser sur ce regain de confiance envers les banques traditionnelles, l’enjeu pour ces dernières est d’apprendre à mieux valoriser leurs points forts pour se différencier durablement face à ces nouveaux acteurs. Elles doivent s’adapter et rattraper leur retard en termes d’expérience client et faire évoluer leur système d’information. Mais elles doivent aussi mieux valoriser ce qui fait leur différence : la multiplicité, l’agilité et la capacité d’intégration des canaux d’accès, l’étendue de leur offre (inégalée par rapport aux néo-banques), la puissance de leur réseau de distribution et l’expertise de leurs conseillers (limitation du turn over et une valorisation plus importante de l’expertise).
Les banques traditionnelles bénéficient donc de nombreux atouts et les français restent en grande partie attachés à la proximité. A titre d’illustration, l’étude récente menée par Querya pour une grande banque de réseau française sur la gestion de la trésorerie de la clientèle retail révèle que la souplesse dans l’application des frais constitue un vrai ‘’plus’’ des réseaux bancaires de proximité face aux acteurs en ligne.
Un beau challenge s’ouvre donc pour elles dans les années à venir : améliorer le service et l’expérience client, mieux valoriser les services, repenser l’offre en réponse aux besoins des clients et rendre ainsi la tarification plus « légitime » à leurs yeux, …avec à la clé une satisfaction client renforcée et un bénéfice en termes d’image.
Pierre Giraudon, Associé Fondateur Querya.
Pas de commentaires.